Après mon séjour dans le Kerala, à la découverte de la médecine ayurvédique, je suis partie pour les Nilgiris, au sud de Bangalore. Cette région est située à près de 2500 mètres d’altitude. Elle est réputée pour ses plantations de thé, son agriculture et son climat clément. Je suis venue à Ooty parce que c’est la région des producteurs et des distillateurs d’huiles essentielles. Des forêts d’eucalyptus à perte de vue et des magasins en tout genre vendant principalement de l’huile essentielle d’eucalyptus. L’eucalyptus globulus est l’huile qui est majoritairement distillée dans les Nilgiris. Mais on trouve aussi beaucoup d’eucalyptus citriodora, de citronnelle ainsi que du lemongrass. Les producteurs cultivent également du basilic, du romarin et du thym qui sont destinés à la production d’huiles essentielles. Une huile qu’on trouve aussi beaucoup dans cette région, c’est la gaulthérie couchée. Très vite, je me suis rendue compte que cette gaulthérie n’avait rien de naturel. Elle est rose grenat et ne sens pas la vraie gaulthérie. Il m’a été confirmé par la suite que cette plante ne pousse pas dans les Nilgiris et qu’il s’agit d’une gaulthérie synthétique, préparée en laboratoire. C’était juste très étrange pour moi qu’elle soit vendue au même titre que les autres huiles essentielles naturelles.
Cette constatation est intéressante car elle nous parle de la manière dont les Indiens appréhendent les huiles essentielles. J’ai appris que seulement 20% des huiles essentielles produites à Ooty sont utilisées localement. 80% de la production est vendue à l’étranger ou utilisée par les laboratoires pharmaceutiques, le secteur cosmétique et la parfumerie. Dans les 20% locaux, très peu sont utilisés par les habitants des Nilgiris. Ces derniers emploient principalement l’eucalyptus pour soigner les maux de gorge et les rhumes ainsi que la gaulthérie pour les douleurs musculaires et articulaires. La plupart des huiles qu’on trouve dans les magasins d’Ooty sont achetées par les touristes (la plupart indiens car les Nilgiris sont une destination très prisée des Indiens en quête de fraicheur). Lors de leur séjour, ils achètent de l’huile essentielle d’eucalyptus qu’ils garderont, pour la plupart, pendant des années. Depuis mon arrivée en Inde, j’avais le sentiment que les Indiens connaissent peu et donc utilisent peu les huiles essentielles. Mon passage dans les Nilgiris et les échanges que j’ai pu avoir avec les locaux ont confirmé ce sentiment. L’Inde est bien un pays producteur d’huiles essentielles mais pas un pays utilisateur (ou en tout cas, en petite proportion).Néanmoins, l’aromathérapie commence à émerger en Inde : des massages aux huiles essentielles sont proposés, certains magasins en vendent comme par exemple celui de l’ashram de Pondicherry. De plus, les huiles essentielles sont utilisées dans les préparations ayurvédiques. Elles font partie des ingrédients entrant dans la composition des huiles médicinales.
Pour en revenir à Ooty, j’ai commencé par aller visiter le village de Cinchona, un des plus gros producteurs et distillateurs de la région. Il s’agit d’une communauté de villageois qui est soutenue, au niveau technique et logistique, par l’ONG, Hope. Ils distillent principalement de l’huile d’eucalyptus mais ils cultivent également d’autres plantes (basilic, géranium, thym, romarin) pour fabriquer des huiles essentielles. Le village est organisé autour de la production et de la distillation des huiles essentielles. Une partie des ouvriers vont ramasser les feuilles d’eucalyptus dans les forêts gouvernementales environnantes. Ils les ramènent ensuite à la distillerie afin qu’elles soient distillées dans un alambic. Cette communauté dispose de deux alambics ce qui permet d’alterner les distillations et d’augmenter le rendement.
J’ai également eu l’occasion de me rendre dans une distillerie familiale, à Coonor, à une vingtaine de kilomètres d’Ooty. Arrivée devant ce qui ressemblait de l’extérieur à une maison tout à fait normale, je suis descendue dans le jardin et j’ai commencé à sentir l’odeur d’eucalyptus. J’ai vu que de la fumée sortait de la petite hutte en feuilles d’eucalyptus que nous étions en train de longer. Et là, j’ai découvert un alambic pour le moins artisanal. Juste le temps de découvrir un peu cet alambic et de comprendre comment il fonctionne et un monsieur est arrivé pour ouvrir la cuve. J’arrivais juste à temps pour la distillation. Après avoir ouvert la cuve, le monsieur a retiré les feuilles d’eucalyptus vidées de leur huile essentielle. La température a commencé à monter d’un cran et l’odeur d’eucalyptus a rempli la grange. Ce qui m’a tout de suite interpellé chez ce monsieur, c’est la douleur qui se lisait sur son visage. Il suait à grosses gouttes et on voyait qu’il souffrait de la chaleur et de la vapeur d’eucalyptus qui commençait à nous piquer les yeux. Je ne pouvais cesser de penser à l’impact que de telles conditions de travail peuvent avoir sur la santé. Par respect, j’essayais de ne pas trop montrer que j’étais affectée par la fumée. Au fur et à mesure que ce monsieur retirait les feuilles, sa femme venait les récupérer, les entassait dans un coin, à l’extérieur de la grange. Elles seront ensuite utilisées comme combustible pour alimenter la chaudière. Parlons-en justement de cette chaudière ! Un trou creusé dans le sol en-dessous de l’alambic. Après que toute la cuve ait été vidée de ses feuilles, ils l’ont de nouveau remplie d’eau. Ensuite, il a fallu réactiver le feu et c’est là qu’est venue la partie la plus désagréable. La grange s’est rapidement remplie d’une épaisse fumée noire. Là, j’avoue que j’ai du sortir, je ne pouvais plus garder les yeux ouverts. Une fois que la fumée s’est dissipée et que le feu a été prêt, les deux femmes ont pris les sacs de feuilles d’eucalyptus qui se trouvaient à l’extérieur de la grange et ont rempli la cuve pour la prochaine distillation.